ACTIVITÉ PARASCOLAIRE (APRÈS LES CLASSES) par James F. Reilly
November 20, 2008 Français Tags: Français, gagnant du concours, James F Reilly
1
Le bus s’arrêta en grinçant à l’entrée de l’allée, et Brian Keating balança son sac à dos sur son épaule, puis dépassa les sièges vides en remontant vers le chauffeur.
« Bonne soirée, M. Sayers », dit Brian.
Le soleil de fin d’après midi qui filtrait par le pare-brise était éblouissant. Protégeant ses yeux d’une main, le chauffeur tripotait le bouton de la radio de l’autre. Il penchait la tête vers le grésillement bruyant que projetait le haut-parleur fixé au tableau de bord au moyen de ruban adhésif.
« Quoi? », demanda M. Sayers. « Oh, toi aussi, mon garçon. Toi aussi. À demain. »
Brian hocha la tête, attendant que M. Sayers actionne le levier de la porte, mais le chauffeur semblait préoccupé par les quelques mots qui réussissaient à passer à travers la statique.
Émeutes…
…sans provocation…
……..Urgence…
« Heu…M. Sayers? »
« Quoi? Oh, désolé, mon garçon. »
Le chauffeur actionna le levier et la porte s’ouvrit. Dès que Brian se trouva sur le chemin de terre qui menait chez lui, la porte se referma avec un couinement, et le bus démarra en trombe, traînant un nuage de poussière dans son sillage. Brian haussa les épaules et commença à remonter le chemin. C’est à ce moment qu’il remarqua un homme dans le boisé.
Au début, il cru que c’était un chasseur. Ce n’était pas inhabituel à Barstow, au New Hampshire. C’était la fin septembre, et on voyait des chasseurs partout à cette époque de l’année. Des hommes, vêtus de gilets et de chapeaux orange vif, se promenant dans le fourré, inconscients du fait qu’ils se trouvaient sur une propriété privée (ou s’en foutant éperdument). Brian se rappela d’un dimanche matin que son père avait passé à retirer des chevrotines du côté de leur garage, rouspétant contre le fait que chasser un animal avec un fusil ne pouvait vraiment pas être considéré comme un sport.
« Chasser à l’arc, ça c’est un sport », répétait souvent Jack Keating. Bien qu’il n’ait pas encore accompagné son père à la chasse, Brian passait plusieurs heures par semaine derrière la maison à tirer sur des cibles rembourrées à l’aide de l’arc qu’il avait reçu au dernier Noël, se préparant pour le jour où sa mère le considérait assez « mature » pour aller à la chasse avec son père.
L’homme qui était là n’était, toutefois, pas un chasseur.
Il portait un complet trois pièces gris. Ses manches trouées étaient maculées de boue et des brindilles s’y accrochaient. Son visage était cendreux et affaissé. Ses yeux jaunâtres rappelaient à Brian les jaunes d’eux crevés que son père aimait étaler sur ses toasts brûlés. Ses traits tombants lui donnaient un air exagérément renfrogné, comme si ses muscles ne supportaient pas le poids de sa peau. Il écarta ses lèvres bleutées, révélant des gencives blanches comme de l’os et les chicots noirs qui lui tenaient lieu de dents. L’homme laissa échapper un gémissement qui fit dresser les cheveux sur la nuque de Brian.
« C’est une propriété privée! » cria Brian. L’homme tomba un peu vers l’avant, puis s’appuya sur un bouleau blanc pourri. Son regard semblait traverser Brian, ses narines s’écarquillant alors qu’il humait l’air.
« Il y a des affiches », lança Brian pointant du doigt l’extrémité de la propriété. « Vous…ne les avez peut-être pas vues, m-mais elles sont là . »
L’homme ne dit rien. Il resta appuyé là , semblant savourer l’air et grattant faiblement le tronc de l’arbre. Brian remarqua les bleus sur ses mains et l’extrémité des doigts à vif qui laissaient des marques rose pâle sur l’écorce blanche.
« Est-ce que ça va, monsieur? » parvint à peine à dire Brian, les mots formant une boule au fond de sa gorge. Quand il fit un pas vers le boisé, l’homme tourna brusquement la tête dans sa direction, faisant craquer net les os de son cou, comme des brindilles sur lesquelles on marche. L’homme grogna, et un nuage de sang et de mucus lui sortit du nez.
Brian recula, trébucha sur son sac à dos et tomba quand l’homme s’élança à toute vitesse vers lui, ses mouvements semblant vifs et anormaux. Quand il émergea du boisé touffu, Brian vit que l’homme se déplaçait en se servant uniquement de ses mains. Au lieu de ses jambes, l’homme traînait derrière lui ses entrailles luisantes. Brian réussit à se remettre sur pied et s’élança vers la maison, poursuivi par les bruits du demi-homme se traînant dans l’allée en terre.
Clap Clap Fsssssssssssssssssst. Clap Clap Fssssssssssssssssssst.
Brian donna un coup d’épaule violent dans la porte, tournant simultanément la poignée, et laissa échapper un cri de désespoir quand il se rendit compte qu’elle était verrouillée-
La clé.
-Il n’avait pas besoin de regarder. Jeter un coup d’œil signifiait le voir.
Cette chose.
Il se représentait clairement la clé, dorée, scintillant sous le soleil de fin de journée-
Clap Clap Fsssssssssssssssssst. Clap Clap Fssssssssssssssssssst.
-accrochée à la bretelle du sac à dos qui gisait à trente pieds de là dans l’allée-
Clap Clap Fsssssssssssssssssst. Clap Clap Fssssssssssssssssssst.
-ça aurait aussi bien pu être un mille.
Clap Clap Fsssssssssssssssssst. Clap Clap Fssssssssssssssssssst.
Brian frappa de toutes ses forces, secouant la poignée et hurlant-
Clap Clap Fsssssssssssssssssst. Clap Clap Fssssssssssssssssssst.
-il se retourna juste au moment ou le demi-homme essayait de l’agripper, sautant rapidement de côté. Il avait senti la main de l’homme frôler sa cheville. Brian sauta par-dessus l’homme, glissant presque dans la traînée visqueuse et sanguinolente que l’homme avait laissée à sa suite.
Le demi-homme se retourna, poursuivant Brian en rampant.
Brian entra dans le garage en courant, s’arrêtant en voyant la Volvo de sa mère à son endroit habituel-
Pourquoi n’est-elle pas venue m’ouvrir?
–et saisissant la corde blanche qui pendait pour fermer la porte derrière lui.
Le demi-homme se précipita vers la porte du garage alors que Brian se démenait avec la corde. La porte en aluminium gémit bruyamment au-dessus de lui, mais refusa de bouger. Il tira fermement un bon coup, ce qui le fit lever de terre. Cette fois-ci, la porte métallique se referma bruyamment, faisant tomber Brian au sol.
Le demi-homme plongea au moment où la porte s’écrasa sur ses poignets, faisant retentir un craquement. Ses mains continuaient à griffer l’air et à essayer d’attraper Brian qui, une fois debout, se mit à les écraser furieusement à coups de pied, jusqu’à ce que la chose ramène vers elle ses doigts noueux. Brian ferma complètement la porte et la verrouilla. La mince paroi d’aluminium se bomba vers l’intérieur quand le demi-homme s’élança contre elle, envoyant valser Brian vers l’arrière. Quand ses pieds entrèrent en contact avec la dalle de béton, il sentit ses jambes se dérober sous lui. Il tomba dos au sol, et le choc le secoua en entier.
Le corps de sa sœur se trouvait sous la Volvo.
Gwen était revenue tôt.
Il lui manquait des bouts de peau au menton et à la joue gauche. Des trous de la grosseur d’un poing exposaient les dents jusqu’à la mâchoire.
Elle rentrait rarement avant lui.
L’appareil dentaire qu’elle avait refusé de faire installer avec véhémence était couvert d’une fine couche rouge, et des bouts de chair étaient prisonniers entre le fil métallique et les dents.
Lynn avait dû la reconduire.
Un œil bleu glacé le fixait. L’autre pendait, crevé et déformé, d’une orbite vide et suintante.
Lynn avait son permis de conduire. Gwen était si jalouse de son amie.
Les boucles d’or dont Gwendolyn prenait si grand soin étaient rouge foncé, encroûtées de sang séché et grouillantes d’insectes. Le sommet de son crâne était fracassé et vidé de son contenu comme une noix de coco.
Mais Gwen n’avait que seize ans. Elle devait patienter encore quelques mois.
Brian senti sont ventre se crisper de manière familière, et le contenu de son estomac jailli des commissures de sa bouche, maculant le devant de sa chemise. La bile lui brûlait la gorge et avait le goût d’un dîner à la cantine de l’école digéré depuis longtemps.
Des spaghettis et des boulettes de viande avec du pain à l’ail. Du Jell-O aux fruits. Deux berlingots de lait au café. Des bâtonnets de céleri et un morceau de fromage fondu approuvé par le gouvernement américain.
Brian rampa lentement de reculons jusqu’à ce que ce qui reste de sa sœur soit caché par le pneu avant de la Volvo. La porte du garage trembla violemment, alors que la chose dehors frappait dessus une fois de plus. Le bruit le ramena à lui. Le vomi glissa de sa chemise, tombant sur ses chaussures de course et le sol du garage. Sa chemise collait sur son torse et son ventre. Elle était mouillée et chaude et, étrangement, réconfortante. La sensation d’engourdissement qui s’était emparée de lui céda la place à une sensation de calme et de détachement rationnel.
Brian se tourna et grimpa quatre à quatre les marches qui menaient dans la maison. La poignée tourna…
Dieu merci.
…et il se précipita à l’intérieur. La porte du garage fut de nouveau secouée. Cette fois-ci suivit le bruit de feuilles de métal froissées. Brian vit que l’un des panneaux d’aluminium était plié vers l’intérieur. Le demi-homme avait réussi à entrer la tête et à glisser un bras dans la petite ouverture, et il émit un râle profond et lancinant quand son regard jaune et mort croisa celui de Brian. Brian le regarda d’un air de défi, puis claqua la porte, la verrouilla et la bloqua avec un petit vaisselier en chêne pour faire bonne mesure.
« Maman? » Il ne s’attendait pas à ce qu’elle réponde, et il ne reçu aucune réponse. Il l’appela tout de même en courant d’une pièce à l’autre, en partie pour noyer le boucan qui provenait du garage.
Il n’était pas surpris qu’elle ne soit pas là . Après tout, elle n’aurait pas laissé ça arriver à Gwen. Pas si elle était là pour l’empêcher.
Sharon Keating était une femme douce, mais elle se transformait en harpie quand une personne – ou une chose – s’en prenait à sa famille. Elle pouvait se mettre en colère – voire devenir violente – si la situation l’exigeait.
Il se rappela la fois où un berger allemand l’avait poursuivi depuis la maison d’Evan, lui mordillant les talons pendant toute la poursuite. Il avait remonté l’allée en hurlant alors que sa mère se précipitait tenant levé en l’air l’un des bâtons de hockey de hockey de Brian. Sa pose lui avait rappelé celle d’un soldat de plastique qui tenait sa baïonnette en l’air, prêt à empaler un ennemi.
Elle se mit entre Brian et le chien, et balança le bâton vivement de gauche à droite jusqu’à ce que l’animal émette des cris de douleur aigus et qu’il se sauve la queue entre les jambes, remontant l’allée jusqu’à mi-chemin. Elle fit deux pas vers le chien qui prit la fuite dans le boisé. Brian ne savait pas ce qui était le plus effrayant : être poursuivi par un chien, ou l’expression de sa mère, alors qu’elle se tenait là , montrant les dents, son air habituellement placide devenu mauvais. Son regard se vida quand elle baissa les yeux et qu’elle se rendit compte qu’elle tenait la moitié du bâton de hockey. L’autre moitié se trouvait à ses pieds, son extrémité éclatée tachée de sang et à laquelle s’accrochaient des bouts de fourrure.
Brian éclata en sanglots, et il n’en fallu pas plus pour que sa mère l’imite, laissant tomber le bâton et serrant son fils dans ses bras. Il ne faisait aucun doute que la mère aurait battu l’animal à mort avant qu’il ne touche à un cheveu de son fils.
Il pensa à ce qui restait de sa sœur-
Pauvre, douce Gwendolyn
– étendue dans un sale état sous la Volvo dans le garage.
Il était impossible que sa mère soit à la maison.
2
Le téléphone sonna plus de dix coups avant que quelqu’un, hors d’haleine et terrifié, décroche enfin.
« Police de Barstow », dit-il. « S’il vous plaît… »
Il y eut un bref silence entrecoupé par le bruit de verre qui éclate.
« …tire sur cette saloperie, Claremont! » cria l’homme. Il y eut quelques coups de feu étouffés, puis l’homme revint au bout du fil.
« Qui est à l’appareil? » demanda-t-il. Il semblait plus ennuyé qu’apeuré à présent.
« Je m’appelle Brian. Brian Keating, du 833 chemin Hollyhock. J’ai besoin… »
« Écoute, gamin. Tu vois, tu dois…tu n’as qu’à t’enfermer quelque part, d’accord? », rétorqua l’homme. « Nous faisons…merde…nous faisons ce que nous pouvons ici. »
« Je…Je ne comprends pas », répondit Brian.
« Écoute », des cris retentirent dans le fond. « Écoute, gamin,…cache-toi. Cache-toi bien, et ne sors pour personne. Même si tu crois que tu les connais. Ne sors pas tant que… »
Il y eut un grésillement sur la ligne, puis le silence. Brian fixa le combiné devant lui quelques secondes avant de raccrocher puis de recomposer le numéro.
Cette fois-ci, il n’y eut aucune tonalité.
3
Brian décolla sa chemise de sa peau et la retira soigneusement par-dessus tête. En tombant au sol, elle émit un bruit mouillé. Il épongea son torse avec un linge humide, puis fouilla dans le panier à linge à la recherche de quelque chose de propre. Son choix se porta sur un maillot des Red Sox que sa mère avait intentionnellement acheté deux tailles trop grandes pour justifier le prix exorbitant du vêtement.
« Si je dois dépenser 100 dollars pour un maillot, je t’en achète un que tu pourras porter jusqu’à l’université », avait-elle dit, plaisantant à moitié.
Le maillot pendait sur lui comme une parka, mais ça ne l’empêchait pas de le porter plus que tout autre vêtement, et ce jour-là , il lui procurait un sentiment de réconfort et de normalité, bienvenu quoique furtif. Il fit glisser les doigts sur les lettres en relief sur son torse en se dirigeant vers le salon d’où émanait un bruit aigu.
Une heure s’était écoulée depuis le dernier avis télédiffusé. Depuis, les mêmes mots défilaient au bas de l’écran, accompagnés de la même tonalité à rendre fou.
Ceci est un message d’urgence. Il ne s’agit pas d’un test. Veuillez rester à l’écoute pour d’autres nouvelles…
C’était pareil sur toutes les chaînes, mais Brian se laissa tomber sur le canapé moelleux et les fit défiler une à une, au cas où il y aurait du nouveau.
Le demi-homme était toujours dans le garage, signalant à l’occasion sa présence par une série de coups. Brian ne s’inquiétait plus de sa présence. Il était enfermé, du moins pour le moment.
C’étaient ceux qui se trouvaient à l’extérieur qui attiraient son attention à présent.
Il y en avait au moins six qui marchaient en chancelant sur la pelouse à l’avant, fonçant dans le coté de la maison, rebondissant comme des papillons de nuit voletant maladroitement pour éviter de se brûler à une lampe anti-insectes.
S’il avait été naïf, Brian aurait pu croire qu’ils étaient saouls ou drogués, comme les détraqués qui ont pris du PCP que l’on voyait dans les vieux films diffusés dans les classes de santé.
Mais Brian n’était pas naïf.
L’homme qui lisait les nouvelles semblait surpris par les paroles qui sortaient de sa bouche, mais Brian n’était pas surpris de les entendre. Pas après tout ce qu’il avait vu. Tout de même, le fait de l’entendre de la bouche d’un adulte, rien de moins qu’un véritable lecteur de nouvelles, rendait les faits bien réels.
« Cela…, » l’homme se racla la gorge et eut un petit sourire bête, « Ce n’est pas possible », dit-il, regardant à sa gauche. Il haussa les épaules et se remit à face à la caméra. « Ok, je ne fais que lire les nouvelles…voici ce qui est écrit. »
L’annonceur se racla la gorge de nouveau, ses yeux passant au document.
Brian venait peut-être tout juste d’avoir treize ans, mais il était assez vieux pour être capable de lire entre les lignes.
« Les morts- »
-Les zombies-
« -nous a-t-on dit, reviennent à la vie et attaquent- »
-dévorent les gens–
« Des signalements semblables nous viennent d’ailleurs dans le monde, et… »
-partout-
« …le Président a déclaré un état d’… »
-et nous sommes officiellement dans la merde-
« …conseillé de rester à l’intérieur… »
-alors réglez vos comptes avec votre dieu-
« …jusqu’à ce que la situation soit sous contrôle… »
-dites à votre famille que vous l’aimez-
« …soyez assurés que le gouvernement met tout en œuvre pour corriger la situation… »
-et préparez-vous à passer l’arme à gauche.
Ils trouveraient éventuellement un moyen d’entrer, il en était absolument certain. Il était de la nourriture et ils avaient faim.
Et bientôt, ils seraient plus nombreux.
Il était temps d’aller chercher son arc.
4
Il était près de minuit quand il entendit un bruit de verre cassé en bas.
Ils étaient devenus plus agressifs à la tombée de la nuit et avaient trouvé un moyen d’entrer.
Il leur faudrait tout de même un bon bout de temps avant qu’ils réussissent à monter jusqu’à lui.
Brian passa l’heure suivante à bloquer les portes, à créer des barricades dans les couloirs et à remplir la cage d’escalier d’assez de meubles et d’objets de toutes sortes pour entraver l’ascension de l’adversaire le plus agile.
C’était, du moins, ce qu’il espérait.
Il poussa sa commode devant la porte de la chambre, éteignit la lumière au plafond et se rendit à la fenêtre qui était ouverte. L’air de la nuit caressa son corps en sueur, paralysant de froid la fatigue qu’il ressentait. Au fur et à mesure que ses yeux s’habituaient à la noirceur, il parvenait à distinguer des silhouettes et des ombres se déplacer sur la pelouse. Dans la pièce qui se trouvait directement sous sa chambre, il entendait le battement faible de la chair sur le bois, des ongles grattant les parois de la maison et, encore, des éclats de verre tombant par terre. Il n’avait pas pu les compter une fois que le soleil s’était couché, mais il savait qu’il y en avait encore plus à présent. Il devinait leur présence.
Il espérait avoir assez de flèches.
Il remplit le carquois de son père du double de sa capacité, ce qui était sûrement exagéré pour un archer chevronné, mais bien que Brian se soit montré apte à tuer efficacement et avec précision des cibles empaillées, il n’avait jamais tué d’être vivant auparavant.
Mais ces choses sont mortes. Mortes et lentes.
Il grogna en soulevant le lourd carquois et le plaça sur la corniche. Puis, avec précaution, il le fit glisser sur le toit. Ensuite, il sortit son arc qui était presque aussi grand que lui, mais aussi léger qu’un bâton de baseball en aluminium.
Il glissa ensuite dans une grande sacoche un crayon lumineux et deux fusées éclairantes (récupérées dans une trousse d’assistance routière offerte à ses parents pour Noël il y a trois ans et restée dans son emballage d’origine dans leur armoire), ainsi qu’une boîte de barre de céréales, un sac de chips à moitié vide et deux canettes de Coke diète. Il balança la sacoche sur son épaule et sorti par la fenêtre dans la noirceur.
La pente du toit n’était pas aussi accentuée de ce côté de la maison que de l’autre, mais elle l’était suffisamment pour que Brian marque un temps d’arrêt en observant les silhouettes noires qui grouillaient en bas. Il rampa vers le côté de la fenêtre, puis vers le sommet du toit, traînant à sa suite son arc et son carquois.
Les bardeaux d’asphalte granuleux offraient une bonne traction. Une fois rendu en haut, Brian roula précautionneusement sur lui-même et enfonça les talons dans le revêtement. Il s’installa, le bas de son corps appuyé contre le toit, et cala l’arc entre ses chaussures de course. Il sortit ensuite l’une des fusées de la sacoche. Il plissa les yeux au moment de tirer l’anneau à l’extrémité de la fusée. Il sentit des centaines d’yeux morts se fixer sur lui au moment où elle se mit à siffler à grésiller dans sa main. Il la balança hâtivement du côté droit de la maison, puis alluma l’autre et l’envoya cette fois-ci à gauche. Le devant du jardin baignait dans une lumière orangée diffuse, et les ombres qui auparavant étaient floues devinrent entièrement visibles.
Une partie de lui préférait quand il faisait noir.
Il en compta douze, mais c’était sans compter ceux qui se cachaient sûrement dans le noir, au-delà de la lumière diffusée par les fusées.
Il sortit une flèche du carquois, plaça la pointe sur l’appui-flèche, et stabilisa l’encoche entre ses doigts qui tremblaient. Il visa sa première cible : un homme très musclé à la peau foncée, vêtu uniquement d’un minuscule short en élasthanne rouge. Ses yeux étaient enfoncés dans leurs orbites, et sa mâchoire inférieure tordue pendait si bas que son menton flasque battait contre sa pomme d’Adam. Son bras gauche était étendu le long de son corps et il tenait fermement sous l’aisselle ce qui semblait être son bras droit arraché.
Viser la tête. Il faut viser la tête. Brian se rappela ce que le présentateur avait dit. « C’est la seule façon d’être certain ».
Il retint son souffle en tirant lentement la corde de l’arc, puis lâcha la flèche. Celle-ci fila dans le ciel nocturne, passa loin de la cible et disparu dans un buisson épais. Brian se donna un coup de poing dans la cuisse.
C’est la nervosité, pensa-t-il. Détends-toi. C’est comme n’importe quelle autre cible.
Brian tira une autre flèche du carquois.
Concentre-toi maintenant.
La flèche atteignit M. Muscles dans le torse. Brian entendit le bruit mouillé que fit la flèche en perçant la chair et les muscles épais, puis le craquement sec d’un os qui casse.
L’homme ne semblait même pas s’en être rendu compte.
S’il avait été en vie, ça l’aurait tué. Brian rit de cette idée complètement et sortit une nouvelle flèche.
Elle entra directement dans la bouche ouverte de M. Muscles, épinglant sa mâchoire à sa gorge. Il s’agita violemment, laissant tomber le bras arraché au sol et saisit la flèche d’une main massive.
Au moins celle-ci a attiré son attention, pensa Brian.
La tête de l’homme balançait par saccade chaque fois qu’il tirait sur la flèche. Un liquide noir et visqueux coulait de sa bouche et formait une rigole dégoûtante entre ses pectoraux bombés. Quand il parvint à retirer la flèche, un morceau de peau dégoulinant y était accroché. Comme il la jetait sur le côté, une autre flèche s’enfonça pile dans son œil droit et M. Muscles s’effondra comme une poupée de chiffon.
L’attention d’une vieille femme passa du zombie tombé sur le champ de bataille à Brian; ses doigts osseux et crochus tiraient sur le tissu floral troué de la robe. Elle avança vers lui, et à chaque pas, sa robe glissait de plus en plus sur sa poitrine, jusqu’à ce qu’elle lui tombe autour de la taille, révélant des seins desséchés qui, tels des rideaux marbrés, pendaient sur son ventre vide.
Brian inspira profondément et retint sa respiration en alignant sa cible. La flèche frappa la femme sous le nez, lui fendant sa lèvre et lui fracassant la mâchoire supérieure. Le coup la fit basculer vers l’arrière, dans un buisson. Son corps sans vie y resta accroché, comme un insecte ratatiné dans une toile d’araignée.
« Ouais! » lança Brian en faisant du poing un signe de victoire.
C’est du gâteau.
Il balaya du regard le terrain à la recherche de sa cible suivant.
Son cœur sauta un battement quand il la vit.
Tout à coup, cela ne semblait plus facile du tout.
5
Brian dû s’y prendre quatre fois pour tuer sa mère.
Elle se tenait debout parmi eux, son long peignoir de soie blanc ouvert, ses panneaux flottant dans la brise douce; sa peau pâle éclairée par la lumière vacillante orange des fusées. Elle avait l’air d’un ange. Son visage était serin, ses bras tendus vers lui – pour lui. Il était prêt, lui aussi, à aller à elle, jusqu’à ce qu’il revienne à la réalité : il vit la plaie béante qui lui striait l’abdomen laissant un vide dans son ventre.
Sa mère avait été à la maison tout ce temps.
Sa première flèche frôla à peine le bord du toit. Il ne sentait plus ses bras et ses doigts étaient engourdis.
La seconde flèche glissa sur la pelouse devant elle. Brian ressentit un spasme violent suivi d’un frisson.
La troisième flèche se ficha dans sa cuisse. Brian se sentit submergé par une vague de nausée à la vue du sang de sa mère. Il déglutit avec difficulté, s’étouffant sur sa morve et le sel de ses larmes.
« Oh mon Dieu, maman, non! Mon Dieu, s’il vous plaît, non ».
Ce n’est plus ta maman, gamin.
Tu n’as qu’à demander à ta sœur.
Il s’imagina Gwendolyn, et ce qu’elle avait subi. Puis, il s’imagina la chose dehors qui se faisait passer pour sa mère et qui avait fait ça.
La quatrième flèche fut la bonne.
6
Après sa mère, les autres furent faciles à abattre. Attisé par la rage, l’adrénaline et le désespoir, il ne gaspilla aucune flèche. Quand le soleil fut levé, les morts-vivants qui avaient assiégé sa maison avaient retrouvé la paix.
Qu’ils soient tous maudits.
7
Brian remonta l’allée en terre, ramassa le sac à dos qu’il avait laissé tomber la veille, et le balança sur son épaule. Quand il atteignit le bout de l’allée, il resta là à attendre, baigné par les rayons chauds du matin.
Un grondement distant annonça l’arrivée d’une camionnette rouge surélevée. Un homme se tenait debout dans la caisse de la camionnette.
Il avait un fusil.
Il visait Brian.
La camionnette s’arrêta.
Un coup de tonnerre vint troubler le calme du matin.
8
Le cadavre du demi-homme était couché à moins de 2 mètres de Brian, sa tête réduite en une purée d’os et de sang qui noircissait en imbibant le sol.
Le tireur jaugea Brian, regardant l’arc qui pendait à son épaule droite et le carquois qu’il traînait derrière lui. Son regard glissa aux corps étendus sur la pelouse.
« On dirait que tu en as oublié un, gamin », s’esclaffa-t-il. Brian avait déjà entendu un rire comme celui-là . Un rire qui n’exprimait aucune joie, juste de la nervosité.
Le conducteur, un vieil homme obèse aux joues écarlates et aux cheveux gris jaunâtres, se pencha vers la fenêtre du passager.
« Tu ferais mieux de monter, mon garçon. Ces choses derrière… », dit l’homme en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule.
« Y’a plus rien là bas… », l’interrompit le tireur.
Brian secoua la tête.
« Je ne peux pas. J’attends mon bus. »
Les yeux du conducteur se plissèrent. « Tu ne comprends pas, mon garçon. Y’a pas d’bus. Y’a pas d’bus, pas d’école, y’a même plus d’ville, nom de Dieu. »
Brian secoua de nouveau la tête.
Le conducteur semblait prêt à bondir de son siège et à forcer Brian à prendre place dans le véhicule, quand le tireur tapa sur le toit de la camionnette.
« T’as entendu l’gamin, Marty », dit-il.
« Mais Dale, c’est juste… c’est juste un gamin! » cria Marty.
Dale regarda Brian et lui sourit. Il y avait de la tristesse dans les yeux de l’homme. Brian se dit que ses propres yeux devaient exprimer le même sentiment.
Dale hocha de la tête, et Brian lui répondit pareillement.
« Allons-y », dit Dale en tapant de nouveau sur le toit de la camionnette.
Marty secoua la tête en marmonnant quelque chose en redémarrant. Dale salua Brian soulevant sa casquette, et Brian lui fit un signe de la main, ne la baissant que lorsque la camionnette fut hors de vue.
Brian regarda au loin sur la route, guettant l’arrivée du bus jaune. Il remarqua que les feuilles avaient déjà commencé à se parer de leurs couleurs automnales. On aurait dit que l’été venait à peine de se terminer.
C’est fou comme les choses changeaient vite.
I don’t understand it but I’m glad to see something more from you Jim.
Comment by Brandon Layng on November 21, 2008 @ 11:29 pm
This is a pleasant surprise! I can’t read French, but it’s very nice to see some of these stories made possible for other audiences. Rock on.
Comment by Ty on November 22, 2008 @ 2:29 pm
Wow, this is a lot longer than I thought it would be. I’ll give it a shot for translation, but as I’m a working college student, it will take some time!! Looks good from what I’ve seen though.
Comment by Jack on December 5, 2008 @ 12:14 am
Oups, I left a few typos. They will be taken care of. I’m working on the next translation. I hope to be finished by the end of this year.
Comment by Nina on December 8, 2008 @ 1:45 pm
Wow! This is great! My first translated work!! 🙂
Hey, Jack, this one’s actually available in English on the site, so don’t worry about having to translate it from French! LOL
Thanks Nina! That’s really awesome of you! 🙂
Jim Reilly
Comment by James F Reilly on December 8, 2008 @ 2:50 pm
Hi Jim,
I’m glad you like the initiative! I wish I could do literary translations on a full-time basis! I’m a certified translator though, but in another field.
Last year, I missed a movie that reminded me of your story (from the trailer). Here’s the link in case you’re interested http://www.fantasiafest.com/2008/en/films/film_detail.php?id=262 (I Love Sarah Jane)
Comment by Nina on December 9, 2008 @ 2:39 pm
Found it on you tube:
http://www.youtube.com/watch?v=7XMBGYsU1lI
Comment by Nina on December 9, 2008 @ 2:41 pm
Hey Nina!
I checked that video out! That was AWESOME!! What a great short film. I’d love to see more from those guys. Very slick and professional, as well 🙂
Best!
JIM
Comment by James F Reilly on December 21, 2008 @ 9:45 pm